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La fin des entretiens individuels ? Une question qui divise

De nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui pour condamner les entretiens individuels comme étant un frein au développement de la coopération dans les équipes. Certains prônent même leur disparition. Les spécialistes sont divisés sur la réponse à la question, comme le montre ce débat engagé entre une économiste du travail, Salima Benhamou du CAS, et Christian du Tertre, professeur et directeur scientifique du laboratoire Artémis, dans une interview parue dans la revue Santé et Travail, N°77.

La coopération dans les équipes serait-elle sous-évaluée ?

Salima Benhamou propose une consolidation des entretiens individuels et fait état des résultats d’une récente étude menée par le CAS qui démontre que les salariés évalués semblent tirer plus de satisfaction sur le plan de la rémunération et de la reconnaissance de leur travail que les salariés non-évalués. Par ailleurs, elle précise que « ça n’est pas l’entretien d’évaluation qui génère du stress » mais bien plus le contexte et les changements organisationnels auxquels les salariés font face qui en est le véritable générateur. Christian Le Tertre, de son côté, défend l’idée que ce qui devrait être l’objet central de l’évaluation, à savoir la coopération entre les individus, n’est jamais pris en compte dans l’évaluation qui se centre généralement sur les enjeux individuels, quantifiables ou financiers. D’où, un mal être au travail qui nait d’un manque de reconnaissance de l’effort et de l’investissement dans le collectif. Proche des thèses de Christophe Desjours (« Souffrance en France »), le chercheur indique que la performance au travail est généralement obtenue grâce à une capacité des individus à s’écarter du travail prescrit (de la norme) pour développer des coopérations informelles entre eux. Ce faisant, l’évaluation institutionnelle néglige ces investissements immatériels qui sont pourtant au cœur de la performance.

L’entretien d’évaluation est-il condamné à n’être qu’un moment d’évaluation des résultats individuels ?

A l’heure où la forte pression est mise sur la performance et les résultats opérationnels à court terme, les entreprises ont tendance à développer des attitudes de plus en plus individualistes. Or il est paradoxal de constater que les organisations, dans leur ensemble, exigent de leurs salariés de plus en plus de coopération, d’esprit d’équipe et de collaboration transversale, tout en maintenant une forme d’évaluation centrée sur la performance individuelle. En ce sens, la thèse de Le Tertre est pertinente. Comment d’un côté prôner la coopération et de l’autre ne valoriser que les résultats individuels dans les entretiens ?

En définitive, tout cela ne tient-il pas dans le choix des critères d’évaluation du travail utilisés dans les entretiens et de manière générale dans l’entreprise ? Qu’est-ce qui empêche de définir des critères de performance individuels et des critères de coopération dans l’évaluation des salariés ? 

Les clefs pour garantir l’équilibre entre performance individuelle et collective :

  1. Les critères de coopération sont nombreux, l’important est d’identifier ceux qui correspondent le mieux aux besoins de l’organisation et aux activités des collaborateurs. Il s’agit de définir des critères mesurant l’investissement des collaborateurs dans des actions dont le bénéfice est collectif et non pas strictement individuel. Les définir avec son équipe est une bonne manière de garantir un minimum de consensus sur le sujet.
  2. Ces critères doivent auparavant être intégrés sous la forme d’activités à visée collective attendues, dans la fiche de poste des salariés et sous la forme d’objectifs lors des entretiens.
  3. Partant du principe que toute personne centrera ses efforts sur les objectifs à partir desquels elle sera évaluée et reconnue, les objectifs de coopération doivent donner lieu à une reconnaissance concrète au même titre que les critères plus classiques de performance individuelle. On n’obtient de la coopération durable que si on la reconnait.
  4. Les critères doivent être les mêmes pour tous.
  5. Les collaborateurs doivent avoir un minimum de disponibilité pour réaliser les activités à visée collective.
  6. Attention cependant à bien distinguer ce qui est du domaine des attendus de base du poste (obligations contractuelles) et ce qui est du domaine des activités à visée collective. Partager son planning d’activité sur un support collectif, peut être considéré comme une obligation contractuelle, en revanche prendre en charge le tutorat d’un nouvel arrivant peut être considéré comme une activité à visée collective.
  7. La reconnaissance et la valorisation des actions collectives se font sur la base de leur réussite et de leur efficience et pas simplement sur celle de leur prise en charge.
  8. Les collaborateurs doivent pouvoir moduler leur investissement « coopératif » en fonction de leur priorité du moment, quitte à privilégier pour un temps, leurs intérêts individuels lorsqu’ils en ressentent le besoin.

 

Le système mis en place doit être vertueux : une bonne performance individuelle (la réussite des objectifs individuels) associée à une réussite dans des actions collective doit toujours générer plus de « gain » que la performance individuelle seule. C’est la garantie d’un équilibre sain entre intérêt individuel et intérêt collectif. 

A terme, les effets seront sensibles sur la fédération des équipes, le partage de l’information et des compétences, le climat et l’ambiance de travail, la communication, les tensions et la dynamique collective en général.

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