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Peut-on changer la culture d’Entreprise ?

La culture d’entreprise est aujourd’hui au cœur de tous les débats et de toutes les attentions. Mais si l’enjeu est fort de maîtriser les leviers d’une culture collective, le chemin pour y parvenir est tortueux.

Tout d’abord parce que la définition de la notion même de culture est complexe et ambivalente : s’agit-il d’une caractéristique endogène ou extérieure à l’organisation elle-même ?

En second lieu, parce qu’un diagnostic peut facilement engager à la simplification, au raccourci et à une uniformité éloignée de la réalité : est-il possible de caractériser les critères de notre culture collective issue d’un collectif si hétérogène ?

Enfin parce qu’elle soulève une interrogation quasi philosophique qui anime les dirigeants et les DRH de nombreuses structures en transformation (fusions, virages technologiques, rachats, …) : est-il réellement possible de transformer la culture d’une organisation ancrée depuis de nombreuses années ?

 

La culture appartient-elle à l’entreprise ou aux individus qui la composent ?

Il semble que quelque-soit la définition, le principe même de la culture est qu’il s’agit d’un phénomène qui dépend à la fois du groupe lui-même et des individus qui le composent.

E.H. Schein la définit comme « un modèle d’hypothèses… inventé, découvert ou développé, par un groupe donné, durant son apprentissage de la résolution des problèmes et d’adaptation à l’environnement et d’intégration interne… modèle suffisamment éprouvé pour être considéré comme valide et par conséquent être à même d’être enseigné aux nouveaux membres comme la manière correcte de percevoir, penser, et ressentir, en relation avec ces problèmes ».

Il s’agit donc bien d’un processus développé par un collectif qui finit par s’imposer au collectif.

C’est ainsi qu’aujourd’hui, on voit beaucoup d’entreprises s’assimiler à leur culture qui semble s’imposer à tous les nouveaux membres qui l’intègrent (« la culture google », « la culture Apple »), voire même à la communauté qu’elle agrège (partenaires, clients, …).

En ce sens, si les Hommes créent la culture d’Entreprise, ils en deviennent également les tributaires.

 

Est-il possible de caractériser une culture d’Entreprise ?

Ainsi, à priori, chaque culture est à la fois caractérisée par les individus qui l’ont créé et par les valeurs, règles, rites, symboles et mythes qui en découlent. K.Cameron et R.Quinn ont proposé un modèle permettant de caractériser les cultures d’entreprises à partir de 2 facteurs : la structure de l’organisation (d’une structure stable et contrôlée à une structure flexible et innovante) et la finalité de l’organisation (d’une structure centrée sur les résultats à une structure centrée sur le bien-être des Hommes qui la composent).

Plus récemment, Groysberg, Cheng, Price et Lee, dans Harvard Business Review, ont apporté une innovation à ce modèle un peu manichéen opposant la performance au bien-être en proposant une évolution des 2 facteurs : le premier étant la nature de la réaction au changement (opposant toujours flexibilité et stabilité structurelle) et le second, l’interaction entre les individus (opposant des cultures accordant une large part à l’autonomie et à l’initiative individuelle VS des cultures très axées sur l’interdépendance et la culture collaborative).

Ce premier pas constitue la première étape de réflexion sur la culture d’Entreprise : savoir diagnostiquer la culture existante et actuelle d’une organisation en évitant les pièges de la subjectivité, de la généralisation, voire de la caricature (culture bureaucratique, culture bienveillante, …). Cette méthode permet ainsi de repérer des proximités culturelles de modèles orientées vers des axes proches dans le cadre de fusion, de rachats ou de transformations. A titre d’illustration, les auteurs de l’étude publiée dans HBR évoquent la proximité culturelle entre des entreprises orientées plaisirs comme ZAPPOS (autonomie et flexibilité) et TESLA (orientée flexibilité et innovation) ou encore le fossé culturel entre WHOLE FOODS (orientée interdépendance et flexibilité) et HUAWEI (orientée vers la stabilité structurelle et l’initiative individuelle).

 

Est-il possible de transformer une culture d’Entreprise ?

Là aussi, la réponse n’est pas simple. Si la culture est bien le produit d’une création collective, un changement significatif de culture au sein d’une organisation peut-il être possible ? S’il paraît en effet illusoire de vouloir la changer radicalement, nous sommes bien sûr convaincus, en tant qu’accompagnateurs des transformations humaines et organisationnelles, que l’évolution de cette culture collective est possible. Mais le chemin impose de penser conjointement cette évolution de culture avec le changement des postures et des comportements humains qui la composent. Il ne s’agit donc en aucun cas d’une décision stratégique ou organisationnelle unilatérale mais bien d’une démarche systémique et co-construite au sein d’une organisation.

Les démarches d’accompagnement à l’évolution d’une culture nécessitent de penser l’organisation et sa culture comme l’évolution d’un système vivant. Ce projet co-élaboré s’inscrit dans le temps et dans une forme d’ajustement permanent entre les objectifs de la transformation et l’évolution du vivant lui-même.

A titre d’éclairage, Groysberg et Cheng proposent 4 conseils qui nous paraissent guidants pour penser cette évolution systémique :

  1. Pour bien penser la transformation d’une culture comme d’un système vivant, ils proposent de bien définir l’objectif de cette transformation en se basant sur un diagnostic éclairé et « neutre » de la culture existante.
  2. Une fois cette cible définie et la faisabilité de la transformation établie, il devient nécessaire de sélectionner et de former des leaders qui soient porteurs de la culture visée. Cela implique une forte proximité dans leurs valeurs personnelles et les valeurs à partager.
  3. Pour ne pas concevoir cette transformation « hors sol », ils préconisent d’encourager et de multiplier les espaces et les étapes de connaissance réciproques, d’échange et de convergences sur la culture visée.
  4. Enfin, il apparait important d’envisager l’évolution même de cette culture visée au regard de ces temps de confrontation et de délibération. Il s’agit donc de renforcer le changement voulu par l’adaptation de l’organisation elle-même. De réduire les freins et les irritants à la transformation, véhiculés par la structure et l’organisation.

Si nous sommes convaincus qu’une culture d’organisation peut évoluer, nous le sommes tout autant sur l’impossibilité de construire une nouvelle culture sur l’illusion qu’une ancienne culture peut disparaitre.