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Leadership partagé, comment s’y prendre pour que ça marche ?
Dans un monde traversé par l’incertitude, l’accélération technologique, la fragmentation des expertises et des cultures, il devient illusoire de croire qu’un seul individu pourrait incarner à lui seul la totalité du leadership nécessaire. La complexité des enjeux – écologiques, sociaux, technologiques – appelle à des réponses plurielles, élaborées à plusieurs voix, dans une logique de coresponsabilité. Le leadership partagé apparaît alors comme une réponse organique à cette époque : il permet de reconnaître que le pouvoir ne peut plus se concentrer, car le savoir est désormais distribué, tout comme les compétences, les intelligences et les attentes. Il permet aussi d’aligner l’organisation sur des attentes sociétales plus profondes : inclusion, coopération, transparence, justice. À l’heure où les entreprises sont sommées de ne plus seulement produire des biens mais aussi du bien, la capacité à partager le leadership devient une compétence stratégique, éthique et systémique.
À travers cet article, voyons quelles sont les conditions à sa mise en place mais également ce à quoi il faut être attentif, car cela est loin d’être évident.
Définissons tout d’abord ce que l’on entend par leadership partagé ? Le leadership partagé – ou shared leadership – ne consiste pas à diluer l’autorité ou à nier le besoin de pilotage. Il s’agit plutôt de reconnaître que le pouvoir d’influencer et de décider peut être distribué intelligemment, en fonction des compétences, des contextes et des enjeux.
Comme l’écrivent Craig Pearce et Jay Conger dans leur ouvrage fondateur Shared Leadership (2003), il s’agit d’un “processus dynamique d’influence réciproque entre individus au sein d’un groupe, dans le but de conduire l’ensemble vers ses objectifs.” Autrement dit : un mouvement collectif, fluide, où chacun peut, à un moment donné, prendre la main, guider, décider, puis redonner le relais.
Quelles sont les conditions de la mise en place d’un leadership partagé ?
1/ La démystification du pouvoir
Tant que le pouvoir reste sacralisé – confondu avec l’autorité, la supériorité ou l’infaillibilité – il demeure un objet de crainte, de lutte ou de soumission. Or, dans une organisation complexe, le pouvoir ne peut plus être l’apanage d’un seul : il doit être reconnu comme une énergie relationnelle et distribuée, au service du collectif. Démystifier le pouvoir, c’est sortir d’une vision héroïque ou hiérarchique du leadership pour le requalifier comme capacité à faire agir, à faire grandir, à influencer positivement. C’est accepter que chacun puisse, à un moment donné, porter la voix du leadership selon ses compétences, sa légitimité ou sa proximité avec le terrain. Cette approche rejoint les travaux de Pearce & Conger (2003), qui décrivent le leadership partagé comme un “processus d’influence mutuelle entre les membres d’un groupe”, dans lequel le pouvoir circule plutôt qu’il ne s’accumule. En ce sens, partager le leadership, c’est dé-sacraliser le pouvoir pour mieux le mettre au travail, au cœur même des interactions.
2/ Un climat de sécurité psychologique et de confiance
La sécurité psychologique est fondamentale pour permettre aux membres de s’exprimer, de proposer, de challenger les idées – sans crainte du jugement ou de la sanction. “Shared leadership thrives in environments where individuals feel psychologically safe to express themselves and take initiative.” Edmondson, 1999, Administrative Science Quarterly. Cette confiance se construit par des comportements concrets : écoute active, droit à l’erreur, reconnaissance des contributions de chacun, transparence sur les décisions.
3/ Un leadership formel qui légitime et soutient le partage
Paradoxalement, le leadership partagé ne s’impose pas “par le bas” sans l’aval du haut. Il doit être soutenu, encouragé, rendu légitime par le ou les leaders formels. Ceux-ci doivent abandonner le monopole de la décision, sans disparaître pour autant : leur rôle devient celui de facilitateur, catalyseur, garant du cadre. “Vertical leaders play a critical role in fostering shared leadership by modeling empowerment and trust.” Hoch, 2013, Journal of Business and Psychology
Avoir un leadership formel aligné avec les valeurs du partage, prêt à renoncer au contrôle absolu.
4/ Des règles du jeu claires
Un cadre sécurisant et et une volonté d’assumer les tensions qui surgissent inévitablement lorsque le pouvoir devient collectif. Denis, Langley et Sergi (2012), dans leur article Leadership in the Plural, montrent que cette forme de leadership génère des tensions entre coordination et autonomie, entre clarté et pluralité. C’est normal, et même sain. Ce qu’il faut, c’est en faire un objet de travail collectif.“ Le leadership pluriel est un phénomène social, dynamique et relationnel, enraciné dans des interactions concrètes.”
(Denis et al., 2012)
5/ Un objectif commun fort et partagé
Le leadership partagé repose avant tout sur une finalité claire et mobilisatrice, autour de laquelle les membres de l’équipe peuvent se fédérer. Sans vision partagée, le risque est de tomber dans la confusion, voire l’inefficacité. “Shared leadership is more likely to emerge when team members have a shared understanding of their purpose and are committed to collective success.” Carson, Tesluk & Marrone, 2007, Academy of Management Journal.
6/ Une culture d’interdépendance et de responsabilité mutuelle
La recherche menée Wang, Waldman & Zhang, 2014, Journal of Applied Psychology par montre que certaines caractéristiques structurelles facilitent l’émergence du leadership partagé : taille de l’équipe modérée, interdépendance des tâches, diversité des expertises, clarté des rôles. “Teams that are structured to encourage interdependence and collective responsibility tend to develop stronger shared leadership dynamics.” De plus, des outils de coordination adaptés (rituels, plateformes collaboratives, gestion partagée des priorités) soutiennent le partage du pouvoir décisionnel.
Un modèle de leadership partagé, le modèle S.P.A.R.K.L.E ©
Un leadership partagé pour piloter la complexité par le pouvoir du collectif.

Pourquoi S.P.A.R.K.L.E.© ?
Parce qu’un leadership partagé fait briller les autres, ravive l’engagement, et transforme l’organisation en un terrain de coopération adulte. Chaque lettre porte une posture, une pratique et une intention. C’est un leadership du lien, de la lucidité et de la légitimation collective.
- Subsidiarité : le principe de subsidiarité, issu à l’origine de la doctrine sociale de l’Église catholique puis repris dans la gouvernance européenne, trouve une application puissante dans le champ managérial. Il postule que les décisions doivent être prises au niveau le plus bas possible, et seulement remontées si nécessaire, là où les compétences sont les plus proches de l’action. En entreprise, cela se traduit par une délégation active du pouvoir à ceux qui « font », pour favoriser leur autonomie et leur responsabilité directe. Pierre-Yves Gomez, professeur à l’EM Lyon, souligne que « la subsidiarité est l’exact opposé du ruissellement des responsabilités du haut vers le bas. Elle invite à retrouver l’énergie du pouvoir d’agir là où il est réellement efficace » (Le Monde, 2023).
- Légitimer l’autonomie : un fondement du leadership partagé. Dans leur méta-analyse sur le leadership partagé, Wang, Waldman & Zhang (2014) montrent que la performance des équipes est significativement plus élevée lorsque les membres sont autorisés à exercer une influence réciproque, fondée sur leurs expertises locales. Cela rejoint l’idée de distributed leadership (Gronn, 2002), où le pouvoir est envisagé comme une capacité dynamique, située et contextuelle, non comme une position figée. Autrement dit, la subsidiarité permet au leadership de circuler librement selon les situations, tout en renforçant l’engagement et la prise d’initiative : “The job is simply too large for one individual” rappelle Marshall Goldsmith dans Sharing Leadership to Maximize Talent (2010).
- Des dirigeants qui incarnent la subsidiarité. Plusieurs dirigeants français et internationaux ont fait de la subsidiarité une clé de leur style de leadership. Jean-François Zobrist, ancien directeur de FAVI, en est un exemple emblématique. Il a supprimé les niveaux hiérarchiques intermédiaires pour responsabiliser les ouvriers, estimant que « ceux qui font sont ceux qui savent ». Cette logique d’autonomie a permis à FAVI d’atteindre des niveaux élevés de performance et d’engagement. Dans un tout autre secteur, Leena Nair, PDG de Chanel, défend une logique similaire : « Je crois à l’intelligence collective et à la richesse des perspectives croisées. Mon rôle est de créer une culture qui permette cela. » De même, Satish Pai, PDG d’Hindalco Industries (Inde), insiste sur la nécessité de confier les décisions opérationnelles aux équipes locales : “Empowering our local leaders to make decisions quickly is more effective than any centralized command structure.” Ces témoignages convergent vers la même chose : la subsidiarité, loin d’être un affaiblissement du leadership, en est aujourd’hui l’une des expressions les plus modernes et les plus efficaces.
- Partage du pouvoir : un levier d’agilité et de responsabilité.
Dans les organisations contemporaines, le partage du pouvoir n’est plus un luxe, mais une nécessité. À mesure que la complexité des décisions augmente et que l’information se disperse, centraliser le pouvoir devient contre-productif. Partager le pouvoir, ce n’est pas abdiquer, c’est reconnaître que d’autres peuvent — ponctuellement ou durablement — exercer du leadership en fonction de leur compétence, de leur expérience ou de leur proximité avec la situation. Comme le résume Craig Pearce : “Shared leadership is a dynamic, interactive influence process among individuals in groups”(Pearce & Conger, 2003). Dans cette perspective, le pouvoir n’est plus un statut à défendre, mais un flux à organiser, une énergie collective à distribuer selon les besoins. Emmanuel Faber, ex-PDG de Danone, expliquait : « Le leadership, ce n’est pas de savoir tout faire, c’est de savoir quand il faut laisser faire. »
Le leadership partagé améliore la performance, la créativité et l’engagement dans les équipes. La méta-analyse de Wang, Waldman & Zhang (2014) montre que le partage de leadership est particulièrement efficace dans les environnements complexes, où les tâches sont interdépendantes. De même, Carson, Tesluk & Marrone (2007) soulignent que les équipes avec leadership partagé performent mieux lorsqu’un climat de collaboration et de confiance est instauré. Le leadership partagé favorise ainsi une circulation de l’influence : chacun peut contribuer à la décision selon ses forces, et les tensions de pouvoir sont régulées par la transparence et la co-responsabilité. Comme le dit Hoch (2013) : “Shared leadership complements formal leadership — especially when leaders empower team members to lead in their domains.” - Altitude stratégique : prendre de la hauteur pour mieux guider. L’« altitude stratégique » désigne la capacité d’un leader à s’extraire des urgences opérationnelles pour adopter une vision globale, anticiper les évolutions et orienter l’organisation vers ses objectifs à long terme. Cette posture permet de discerner les tendances émergentes, d’identifier les opportunités et les menaces, et de prendre des décisions éclairées qui alignent les actions quotidiennes avec la mission et la vision de l’entreprise. Comme le souligne Bernard Coleman dans Inc. Magazine, « comprendre son altitude de leadership est essentiel pour une polyvalence efficace ».
Ambition audacieuse : Jim Zelter, président d’Apollo Global Management, affirme : « Nous avons élaboré une stratégie ambitieuse et réalisable, et construit une plateforme qui répond aux besoins modernes ».
Raymond-Alain Thietart, professeur émérite à l’Université Paris-Dauphine, explique que le management stratégique implique une analyse approfondie de l’environnement externe et interne, permettant aux dirigeants de formuler des stratégies adaptées aux circonstances changeantes . Cette approche stratégique favorise la résilience organisationnelle et la capacité à naviguer dans des contextes complexes et incertains. Béatrice Dautzenberg, directrice générale d’ERVOR, met en avant l’importance de la vision stratégique pour anticiper les évolutions du marché et orienter l’innovation . Ces exemples démontrent que l’altitude stratégique est une compétence essentielle pour les leaders souhaitant guider leur organisation avec clairvoyance et efficacité. - Ressource (être une) : dans le cadre du leadership partagé, adopter une posture de « ressource » signifie que le leader se positionne non pas comme un superviseur, mais comme un facilitateur du succès collectif. Cette approche s’inscrit dans le courant du leadership transformationnel, où le leader inspire et soutient ses collaborateurs pour atteindre des objectifs communs. Sims (2002) identifie l’empowerment comme une stratégie comportementale clé du leadership partagé, soulignant l’importance de soutenir et de développer les capacités des membres de l’équipe. Ainsi, le leader agit comme un catalyseur, créant un environnement propice à l’autonomie et à la croissance professionnelle de chacun. Jean-Dominique Senard, président du groupe Michelin, a mis en place des pratiques de management participatif visant à responsabiliser les employés et à valoriser leur expertise. Il affirme que « le rôle du leader est de créer les conditions pour que chacun puisse exprimer son potentiel ».
Le leader comme facilitateur : les études sur le leadership partagé mettent en évidence que les leaders efficaces sont ceux qui parviennent à créer un climat de confiance et de soutien mutuel au sein de leurs équipes. Carson, Tesluk et Marrone (2007) soulignent que le leadership partagé émerge dans des environnements où les membres de l’équipe se sentent soutenus et encouragés à prendre des initiatives. Dans ce contexte, le leader joue un rôle crucial en tant que ressource, en fournissant les outils, les informations et le soutien nécessaires pour que les membres de l’équipe puissent exercer un leadership à leur tour. Cette dynamique favorise l’engagement, la créativité et la performance collective. Dans le secteur de la santé, Dr. Devi Shetty, fondateur de Narayana Health en Inde, a développé un modèle de soins abordables en s’appuyant sur la délégation et l’autonomisation des équipes médicales, démontrant ainsi l’efficacité d’un leadership basé sur le soutien et la confiance. - Koinonia (κοινωνία) : Koinonia, l’essence de la communauté dans le leadership. Le terme grec koinonia (κοινωνία) signifie « communion », « participation » ou « partage ». Dans le contexte du leadership partagé, il incarne la qualité des relations interpersonnelles au sein d’une organisation, favorisant une culture de collaboration et de solidarité. Cette approche met l’accent sur la co-construction des objectifs et la responsabilité collective, créant ainsi un environnement propice à l’engagement et à la performance. Comme le souligne la Koinonia Leadership Academy, « votre retour sur le leadership dépend de votre investissement dans les relations ».
Coconstruction et bien commun : Philippe Royer, ancien président du mouvement des Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens (EDC) en France, incarne cette approche. Il plaide pour un leadership fondé sur la relation et la co-construction du bien commun. Dans son ouvrage S’engager pour le bien commun, il affirme : « L’entreprise est une aventure humaine avant d’être une aventure économique ». Son parcours dans les coopératives agricoles et son engagement pour une économie du lien illustrent une pratique du leadership enracinée dans la confiance et la solidarité. Jonathan Reckford, PDG de Habitat for Humanity International, met également l’accent sur la collaboration et la participation communautaire. Sous sa direction, l’organisation a renforcé son engagement envers les communautés locales, en soulignant que « through shelter, we empower » (par le logement, nous autonomisons) . Cette approche reflète une vision du leadership où la participation active et la co-responsabilité sont centrales.
Leadership communautaire et participatif : le Koinonia Leadership Training Institute en Inde propose des programmes de formation axés sur le développement de servant leaders, mettant l’accent sur la participation active et la responsabilité partagée dans les communautés. Cette perspective met en avant l’importance des relations interpersonnelles et de la collaboration dans le développement d’un leadership efficace et éthique. - Learning together : un levier stratégique pour l’innovation collective. Dans un monde en perpétuelle évolution, l’apprentissage collectif devient une nécessité stratégique. Le concept de co-learning repose sur l’idée que l’apprentissage est plus efficace lorsqu’il est partagé, favorisant ainsi l’innovation et l’adaptabilité au sein des organisations. Selon une étude publiée dans le Journal of Continuing Education in the Health Professions, le co-enseignement et le co-apprentissage permettent une collaboration active basée sur des expertises complémentaires, renforçant ainsi le leadership partagé et les résultats pour les apprenants. Par exemple, Amelie Villeneuve, responsable mondiale de l’apprentissage chez Standard Chartered Bank, a lancé un hub d’apprentissage sur l’IA pour les 90 000 employés de la banque, soulignant l’importance de formations pratiques et engageantes pour favoriser l’adoption des nouvelles technologies.
Le leadership comme catalyseur de l’apprentissage collectif. La recherche académique souligne le rôle crucial des leaders dans la promotion d’une culture d’apprentissage collaboratif. Le Center for Teaching Innovation de l’Université Cornell met en avant que l’apprentissage collaboratif, impliquant des discussions en petits groupes, permet aux participants de clarifier leurs idées et de résoudre ensemble des problèmes complexes. De même, Otto Scharmer, fondateur du Presencing Institute et professeur au MIT, promeut le concept de Theory U, qui encourage les leaders à apprendre ensemble en explorant les futurs émergents et en co-créant des solutions innovantes. - Engagement par la confiance : la confiance, socle de l’engagement durable.
Dans un environnement organisationnel en constante évolution, la confiance est essentielle pour favoriser l’engagement des collaborateurs. Elle crée un climat où les employés se sentent en sécurité pour exprimer leurs idées, prendre des initiatives et collaborer efficacement. Jack Welch, ancien PDG de General Electric, a souligné l’importance de la confiance dans le management efficace. Il a identifié quatre stratégies clés pour établir cette confiance : être généreux en éloges, impliquer l’équipe en étant inclusif, communiquer clairement les objectifs et fournir des retours réguliers et sincères. Selon une étude publiée par Harvard Business Publishing, les leaders qui établissent un environnement de confiance encouragent la transparence, l’authenticité et le respect des engagements, ce qui renforce l’engagement des équipes.
Leadership authentique et engagement. Une étude publiée dans Psychology Research and Behavior Management indique que le leadership authentique est un prédicteur significatif du bien-être des employés via la confiance envers le leader. De plus, des recherches ont démontré que les équipes dirigées par des leaders engageants rapportent des niveaux plus élevés de bonheur au travail et de confiance envers la direction, combinés à des niveaux plus faibles d’épuisement professionnel. Robert T. Whipple, auteur et PDG de Leadergrow Inc., est reconnu pour ses méthodes visant à créer un environnement de confiance au sein des organisations, notamment en favorisant une communication transparente et en construisant la confiance lors de changements organisationnels.
Les écueils du leadership partagé : ce à quoi il faut être attentif
Le leadership partagé est souvent présenté comme une réponse prometteuse aux défis contemporains des organisations : complexité croissante, besoin d’agilité, engagement collaboratif. Pourtant, sa mise en œuvre est loin d’être évidente. Ce modèle exigeant suppose une transformation en profondeur des rôles, des postures et des modes de décision. Plusieurs écueils récurrents peuvent freiner ou dénaturer cette ambition collective s’ils ne sont pas identifiés et anticipés.
- La dilution des responsabilités : l’un des premiers risques est celui de l’ambiguïté : quand chacun est responsable… personne ne l’est vraiment. Le partage du leadership peut créer un flou sur les périmètres d’action, ralentir les décisions et provoquer de la confusion dans les attentes. Selon Denis, Langley et Sergi (2012), « partager le pouvoir ne signifie pas l’abandonner au hasard. Cela exige un travail clair de répartition et de régulation ». Des outils comme les matrices de délégation ou les rôles tournants permettent de structurer cette répartition et d’éviter l’inertie.
- La résistance culturelle au partage : le leadership partagé suppose une remise en cause de la figure traditionnelle du leader-héros. Or, certaines cultures organisationnelles valorisent encore la verticalité, la centralisation et la toute-puissance du « chef ». Cela peut générer des résistances, conscientes ou non, chez les managers comme chez les collaborateurs. Pearce et Conger (2003) rappellent que « le plus grand obstacle au leadership partagé est souvent… le leader lui-même ». Déconstruire les représentations dominantes, former à la posture de facilitateur et reconnaître la légitimité de chacun sont des leviers essentiels.
- La surcharge de coordination : plus le pouvoir est distribué, plus la coordination devient complexe. Réunions multiples, échanges croisés, arbitrages collectifs : sans cadrage clair, l’intention de partage peut conduire à une surcharge cognitive et relationnelle. Hoch (2013) souligne que « plus la coopération est distribuée, plus elle exige un travail actif d’orchestration ». Il est donc crucial de ritualiser les espaces d’échange, de simplifier les processus et de clarifier les circuits de décision.
- L’évitement du conflit : dans un environnement où chacun a voix au chapitre, les désaccords sont inévitables. Pourtant, certaines équipes évitent les tensions, par souci d’harmonie apparente. Cela peut générer de la frustration, des jeux d’alliance ou des décisions molles. Declan Fitzsimons (2016) observe que « dans les équipes en leadership partagé, les conflits doivent être traités, pas évités ». La qualité du débat devient alors un enjeu stratégique. Il s’agit d’apprendre à réguler les désaccords de manière constructive, à travers la médiation, le feedback ou la facilitation collective.
- L’illusion de la démocratie : parfois, le discours sur le leadership partagé masque une réalité inchangée, le pouvoir reste concentré, mais moins visible. Les décisions sont prises ailleurs, sans transparence. Cela crée du désengagement, voire du cynisme. Comme l’écrivent Denis et al. (2012), « certaines équipes croient fonctionner en mode horizontal, mais les décisions clés restent captées par quelques-uns ». Il est alors essentiel d’aligner les actes sur les intentions, de rendre visibles les modalités de décision et d’assumer collectivement la co-responsabilité.
- La reproduction des inégalités : enfin, un piège plus discret réside dans la manière dont le leadership partagé peut, malgré lui, reproduire des inégalités implicites. Les personnes les plus extraverties, les plus légitimes ou les plus expérimentées peuvent monopoliser la parole, tandis que d’autres se taisent. Ce phénomène est bien documenté dans les travaux sur les dynamiques de groupe et l’inclusion organisationnelle. Seules des pratiques explicites d’équité (écoute distribuée, animation facilitée, feedback croisé) permettent de garantir un véritable accès partagé au pouvoir d’agir.
En conclusion : un leadership exigeant, mais fécond
Le leadership partagé n’est pas une utopie. Il est même une réponse puissante aux défis systémiques de notre époque. Mais il ne s’improvise pas. Il requiert de la clarté, du courage, une culture du débat, et un cadre structurant. Comme tout projet de transformation, il gagne à être accompagné, évalué et ajusté régulièrement. Car partager le leadership, c’est bien plus que changer d’organigramme : c’est changer la manière dont on décide, dont on fait autorité, et dont on se relie aux autres.
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Références :
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- Gronn, P. (2002). Distributed Leadership as a Unit of Analysis. The Leadership Quarterly, 13(4), 423–451.
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- Royer, Philippe. S’engager pour le bien commun. Mame, 2020.
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